"LE SEUL IDEAL QUE PUISSE SE PROPOSER LA RAISON HUMAINE EST D'AMELIORER CE QUI EXISTE, OR C'EST DE LA REALITE EXISTANTE QU'ON PEUT APPRENDRE LES AMELIORATIONS QU'ELLE RECLAME"
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L'argent sale pollue l'économie
Outre ses victimes innocentes, le blanchiment d’argent peut avoir de lourdes conséquences pour les économies nationalesDes cartons remplis d'argent liquide trouvés à l'aéroport de Kaboul, un guichet placé à un endroit stratégique avant la police des frontières à Antigua, quelques lignes de code dans un logiciel de comptabilité en République dominicaine… ces phénomènes apparemment sans rapport sont pourtant tous liés au problème mondial du blanchiment de capitaux, ainsi qu'à des défaillances du système financier qui entraînent des difficultés économiques bien réelles pour les citoyens respectueux des lois.
Le blanchiment est le processus qui permet de donner une légitimité apparente à des fonds illicites. Les gains générés par des activités criminelles telles que la fraude, le vol ou le trafic de stupéfiants sont convertis en comptes bancaires, en biens immobiliers ou en produits de luxe d'apparence légale pour avoir l'air d'être le fruit d'un labeur honnête. Les délinquants peuvent ainsi s'enrichir et vivre leur vie sans attirer l'attention. De plus, ils peuvent utiliser les capitaux blanchis pour développer leurs activités illégales et donc accroître leur richesse et leur influence, ce qui leur permet de corrompre les représentants du pouvoir et de l'ordre et d'acheter leur protection.
Si la fraude, la délinquance fiscale, le délit d'initié, le trafic de drogue, la corruption ou les autres activités délictuelles lucratives n'existaient pas, il n'y aurait pas non plus de blanchiment d'argent. Le lien étroit entre l'infraction pénale qui génère des revenus et le blanchiment de ces revenus fait qu'il est très difficile de séparer le blanchiment de l'infraction sous-jacente même si, au regard de la loi, les deux choses sont distinctes. Le blanchiment de capitaux est une composante essentielle de tout acte délictueux lucratif dans la mesure où, sans blanchiment, le crime ne « paie » pas.
Quand l'infraction sous-jacente (ou « principale ») touche à des domaines comme les stupéfiants, les coûts sociaux sont évidents, car ils sont très élevés et visibles. En revanche, les coûts sociaux et économiques de la criminalité en col blanc (détournements de fonds, fraude fiscale ou bancaire, délit d'initié, etc.) le sont moins, mais ils peuvent être tout aussi considérables.
Des histoires très inquiétantes.
En août 2010, par exemple, quand le gouvernement afghan est intervenu pour remplacer les dirigeants de la plus grosse banque privée du pays, la Kabul Bank, les clients inquiets ont retiré pour plus de 200 millions de dollars de dépôts, créant un mouvement de panique dangereux pour la stabilité financière et politique fragile du pays. C'est par cette banque, qui possédait le plus grand réseau d'agences du pays, qu'étaient gérés les salaires des forces de sécurité et d'autres fonctionnaires. Sa faillite éventuelle constituait donc une véritable affaire d'État.
Comment en était-on arrivé là ? Des prêts avaient été accordés gratuitement au sein du groupe et à des tiers bénéficiant d'appuis politiques, les fonds avaient servi à des placements illégaux dans l'immobilier à l'étranger, et des cargaisons entières de billets avaient été mystérieusement transportées entre Kaboul et Dubaï dans des opérations de « blanchiment aérien ». Une enquête ouverte par la suite a établi que plus de 900 millions de dollars confiés à la Kabul Bank, soit plus de 5% du PIB de ce pays appauvri et 50% de son budget national, avaient été détournés. En octobre 2011, plus d'un an après le passage de la banque sous le contrôle de l'État, seule une petite sortie des fonds avait été récupérée et personne n'avait été poursuivi. À ce jour, la banque centrale a dépensé presque 1 milliard de dollars pour renflouer le secteur bancaire, un coût énorme pour un pays aussi pauvre.
Antigua-et-Barbuda a été le théâtre d'une histoire assez différente, mais dont les conséquences ont été également désastreuses pour ce petit pays insulaire. L'escroc américain Allen Stanford l'avait choisi pour monter une chaîne de Ponzi gigantesque. Il s'est servi de sa banque immatriculée à Antigua-et-Barbuda pour vendre des certificats de dépôts « à haut rendement » à des investisseurs crédules de Miami et d'ailleurs des systèmes de Ponzi.. Naturellement, les hauts rendements annoncés n'étaient pas le résultat de quelque martingale infaillible dont aucune autre banque n'aurait connu l'existence.
L'argent versé par les nouveaux investisseurs servait simplement à rémunérer ceux qui étaient entrés avant dans la chaîne, déduction faite de 1,6 milliard de dollars, c'est-à-dire de la somme détournée pour soutenir le train de vie très dispendieux de Stanford et notamment pour ouvrir aux îles Cook un fonds de fiducie baptisé « Baby and Mama Trust », bénéficiant à la mère de deux de ses enfants. Dans le même temps, Stanford et ses associes blanchissaient des capitaux (et corrompaient au passage des agents gouvernementaux) en transférant entre différents comptes bancaires ouverts aux États-Unis et ailleurs des millions de dollars obtenus frauduleusement auprès des investisseurs.
Et le guichet stratégiquement placé ? Il permettait tout simplement aux coursiers venant de Miami de déposer des espèces ou des chèques sans que leurs allées et venues ne soient connues des services d'immigration d'Antigua. Il leur suffisait de descendre d'avion, d'effectuer un dépôt, puis de se rendre dans la salle de transit pour attendre leur vol de retour.
En 2009, l'ensemble du système s'est effondré comme cela finit toujours par arriver avec les chaînes de Ponzi, entraînant dans sa chute la banque de Stanford et avec elle l'essentiel du reste de l'économie locale, qui avait des liens très étroits avec ce qui était devenu le premier employeur de l'île. Cette année-là, le PIB d'Antigua-et-Barbuda s'est contracté de 9,6% ; la banque centrale est passée sous le contrôle de la banque centrale régionale, à qui elle a emprunté l'équivalant de 3% du PIB national, et le pays a dû finalement signer un programme de 118 millions de dollars appuyé par le FMI. En mars 2012, Stanford a été condamné pour avoir escroqué 30.000 investisseurs dans 113 pays.
En République dominicaine, des initiés de Banco Intercontinental, la deuxième banque privée du pays, ont monté une combine sophistiquée pour siphonner les avoirs de la banque. Ils se sont eux-mêmes accordé des prêts et ont obtenu des crédits de tierces parties garantis par des fonds de Banco Intercontinental, tout en se servant d'une comptabilité parallèle pour dissimuler ces actifs non productifs.
Chaque jour, durant 14 ans, un logiciel « équilibrait » les comptes de l'établissement en transférant des actifs et des passifs réels d'un système à l'autre pour que la banque « visible » ait l'air solvable. C'est ainsi que des prêts improductifs accordés à des parties liées disparaissaient des comptes officiels en même temps que des éléments de passif équivalents (il pouvait s'agir, par exemple, de certificats de dépôts à long terme choisis au hasard et dont l'absence passerait inaperçue). Le lendemain, le logiciel remettait les actifs réels dans la comptabilité et sélectionnait un autre groupe de passifs pour équilibrer les actifs douteux occultes.
En 2003, quand la fraude a fini par être éventée, BANINTER (nom sous lequel la banque était connue alors) et deux banques commerciales qui lui étaient apparentées ont été renflouées par l'État. Le sauvetage a coûté l'équivalent de 21% du PIB, mais les coûts sociaux et économiques ont été plus lourds, car une dépréciation rapide du peso d'à peu prés 65% a provoqué une inflation galopante et une forte érosion des revenus réels. Dans le sillage de la crise bancaire, environ 1,5 million de Dominicains (prés de 16% de la population) se sont retrouvés sous le seuil de pauvreté, dont 670.000 dans une situation d'extrême pauvreté.
Bien sûr, ces histoires ne dressent pas la liste exhaustive des techniques utilisées par les malfaiteurs pour déguiser l'origine de leur richesse. Le recours aux dépôts en espèces est une des techniques de base du blanchiment de capitaux. Dans des pays comme les États-Unis, où les banques sont tenues de déclarer les dépôts et les retraits de plus de 10.000 dollars, les délinquants essaient souvent de fractionner les dépôts pour que les sommes soient inferieures au plafond. De multiples intermédiaires se chargent d'effectuer de petits dépôts dans de nombreuses banques ; les services chargés d'enquêter sur ces opération les ont surnommées les «schtroumpfs », car l'activité frénétique de ces coursiers anonymes leur rappelait les héros éponymes du dessin animé. Et, de même que les petits hommes bleus sont passés de la télévision aux jeux vidéo, puis aux écrans de cinéma, le terme de schtroumpf est resté en vogue chez les agents de la lutte contre le blanchiment.
Les systèmes de blanchiment très complexes consistent souvent à créer dans différents pays des entreprises fictives imbriquées les unes dans les autres pour que l'on ne retrouve pas la véritable identité de celui qui possède et contrôle les actifs. Il n'est pas rare qu'un fonds fiduciaire soit créé dans un pays, avec comme seul objet de posséder des parts dans une holding située dans un centre bancaire extraterritorial et ayant des « filiales » dans un troisième, un quatrième et un cinquième pays, filiales dont l'unique activité est d'ouvrir des comptes bancaires que l'initiateur du montage peut ensuite utiliser de manière anonyme. Ces entités extraterritoriales qui fonctionnent en toute opacité ont été au cœur même des fraudes massives commises par les dirigeants de la société américaine Enron, qui ont été inculpés pour blanchiment d'argent et pour la fraude sous-jacente.
Un choc pour l'économie.
Les exemples précités montrent que les infractions financières sous-jacentes au blanchiment d'argent (corruption, évasion fiscale, fraude financière, délit d'initie, etc.) peuvent entraîner des problèmes économiques. Les effets sont particulièrement sensibles quand le secteur financier du pays concerné, est assez modeste, comme en témoigne l'affaire Stanford, dans laquelle une fraude organisée depuis les États-Unis a bouleversé une petite économie insulaire.
Les pays qui ne réussissent pas à lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme peuvent avoir du mal à accéder au système financier mondial. Par exemple, les transferts de fonds électroniques en provenance ou à destination de pays jugés peu efficaces dans leur lutte contre le blanchiment prennent plus de temps, car les institutions financières examinent plus attentivement chaque transaction. En outre, quand les gains d'origine criminelle ou les capitaux fébriles qui circulent entre établissements financiers représentent des montants importants, l'ensemble du système financier peut en sentir les répercussions.
Les contrôles anti blanchiment peuvent donc être considérés comme l'un des outils permettant de prévenir et de réprimer ces phénomènes. Ils contribuent à raffermir la confiance quand la conjoncture économique est difficile. L'utilisation efficace des outils de lutte contre le blanchiment (notamment l'identification de ceux qui possèdent et contrôlent effectivement les comptes bancaires, ainsi que le gel et la confiscation des gains d'origine criminelle quand les auteurs sont appréhendés et condamnés) empêche les délinquants de profiter de leurs méfaits aux dépens de la population et de l'économie dans son ensemble.
Enfin, comme les comportements liés au blanchiment de capitaux menacent la solidité des économies concernées et constituent un frein puissant à la croissance, il ne peut pas vraiment y avoir de stabilité financière sans l'intégrité financière voulue : les exactions financières, y compris le blanchiment, ne peuvent avoir droit de cité sur les marchés financiers.
Quand ils sont efficaces, les contrôles anti blanchiment atténuent les effets délétères des activités économiques illégales et favorisent l'intégrité et la stabilité des marchés financiers. Dans ce domaine, les normes internationales ont été établies par le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI), un organisme intergouvernemental dont le but est de définir et de promouvoir des politiques de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Ses recommandations portent sur un large éventail de questions, notamment la réglementation des services fournis par les institutions financières et par les sociétés et les professions non financières, les mouvements de devises transfrontaliers, la transparence des personnes morales, le droit matériel et le droit procédural, les capacités institutionnelles, l'arsenal répressif et la coopération à l'échelle nationale et internationale.
En matière de prévention, il s'agit, par exemple, d'exiger des professionnels concernés qu'ils déterminent si leurs clients agissent ou non pour le compte de tiers ; qu'ils sachent par qui sont détenues et contrôlées les personne morales ; qu'il prennent des mesures de vigilance renforcée face au risque particulier de certaines catégories de clients, certains liens commerciaux et certaines transactions et qu'ils appliquent d'autres mesures de vigilance et d'entretien des registres.
En matière de répression, les mesures de lutte contre le blanchiment permettent aux autorités non seulement de traduire les auteurs en justice (avec des sanctions généralement plus sévères quand les infractions sous-jacentes et le blanchiment sont combinés), mais aussi, et c'est important, de saisir les avoirs acquis illégalement. Cet arsenal a un effet dissuasif et fait qu'il est plus difficile aux organisations criminelles d'arriver à des niveaux d'enrichissement dangereux.
Un environnement complexe.
Le système financier mondial est de plus en plus interconnecté. Les capitaux peuvent circuler entre une douzaine de pays en l'espace de quelques minutes. La mondialisation de la finance comporte des risques, mais présente aussi des avantages évidents tels qu'une meilleure répartition des ressources, un accès plus facile aux capitaux, une diversification accrue des risques et une progression globale du bien-être collectif.
Les blanchisseurs de capitaux exploitent la complexité et l'interconnexion du système financier mondial et se servent aussi du fait que les législations et les systèmes anti blanchiment différent d'un pays à l'autre. Ils sont tout particulièrement attirés par ceux où les contrôles sont insuffisants ou inefficaces et où ils peuvent transférer leurs fonds ou créer des sociétés plus facilement sans être repérés. Ils ont souvent plusieurs coups d'avance sur les autorités chargées de faire respecter la réglementation et les lois, autorités qui ont parfois du mal à mettre en place rapidement une coopération internationale. En outre, les exemples précités montrent que les problèmes rencontrés par un pays peuvent vite se propager dans d'autres pays de la région ou du monde.
M. Sanoussy DABO