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QUAND L’ARGENT NE PEUT PLUS VOYAGER

Les relations de correspondants bancaires, qui  facilitent le commerce et  l’activité économique, sont mises sous pression  dans certains pays.

argent-sale L’Angola, troisième économique d’Afrique, ne peut fonctionner sans importations. Le pays, très gros  exportateur de pétrole, de diamants et de minerai  de fer, importe produits alimentaires, médicaments, matériaux de construction, bien  d’équipement, véhicules et  pièces détachées.  De nombreux secteurs dépendants des importations. Comme le BTP, sont paralysés parce que les importateurs ont du  mal à payer leurs fournisseurs internationaux. Pourquoi ? Par ce que l’Angola fait les frais d’une réduction des risques, un  problème complexe aux multiples aspects qui affecte principalement,   mais pas seulement, les petites économies en  développement  qui  se retrouvent  déconnectés du  réseau  financier mondial.

Imaginons ce qui  se passerait  si  des compagnies aériennes internationales comme Air France,  American Lufthansa ou  United cessaient  brusquement  de desservir un pays dépourvu  de transporteur aérien  national  et qui  dépend d’elles comme lien  avec le reste du  monde.  La population et  l’économie de ce pays en  pâtiraient ;  les compagnies continuant  de desservir   le pays relèveraient  leurs tarifs, augmentant  ainsi  le pris  des importations  et  des exportations, mais aussi  des voyages.  Une diminution du  nombre  de vols directs et  une hausse des prix  décourageraient  le tourisme.

L’argent  voyage autour du  monde à  peu  près de la même manière que des êtres humains et  transite  parfois par les mêmes aéroports. Une personne allant  de Luanda (Angola)  à  San  José (Costa Rica), pourrait  ainsi  s’envoler vers l’Europe, puis passer par un  aéroport aux Etats-Unis avant  d’atterrir à  San José (ou à  Sao Paulo, puis à  Panama et  enfin  à  San  José). Un  virement bancaire entre deux pays saute lui  aussi  d’un  pays à  l’autre et  peut effectuer de multiples correspondances au  sein des réseaux des grandes banques internationales que sont Bank  of America, Merrill Lynch, Citibank, Deutsche Bank, Standard Chartered  ou  tant  d’autres.

L’atténuation du  risque se manifeste lorsque les banques internationales cessent de proposer des services de paiements transfrontaliers  (virements, règlements par carte bancaire ou même monnaies étrangères fortes) aux banques locales d’un  pays donné. Dans le milieu des systèmes de paiement, de tels services s’appellent  «relations avec  des correspondants bancaires ». Sans elles, la banque (et  donc ses clients, c’est  à dire des ménages et  des entreprises du  pays concerné) n’a plus accès au  réseau  financier mondial.

Si  l’argent  ne peut plus voyager, on en  devise  aisément  les conséquences pour un  pays en  développement  dans une économie  mondiale fortement intégrée. Il  suffi t d’imaginer un  pays fortement  dépendant du  tourisme dont les hôtels se retrouvent  tout à  coup  dans l’impossibilité d’accepter les cartes de paiement de leurs clients ou  dont  les compagnies aériennes ne peuvent  plus acheter de kérosène. Ce risque n’a aujourd’hui  plus rien  d’invraisemblable dans de nombreux pays  des Caraïbes.

Selon  une enquête récente de l’Association  des Banque des Caraïbes, 21 banques sur 23  dans 12 pays ont perdu  au moins une relation  de correspondant  bancaire. Huit  d’entre elles fonctionnaient  avec un  seul  prestataire.  La plupart peuvent  trouver d’autres arrangements.  Des pays d’Afrique, d’Europe de l’Est, du Moyen  -Orient  et  de certaines îles du  Pacifique  ont perdu  aussi  certaines relations de correspondants, tout comme la Banque Centrale du  Belize.  En  Angola, une pénurie de dollars américains à paralysé les échanges commerciaux. Même de grandes économies émergentes comme Philippines ou  le Mexique ont été touchées. Une enquête auprès des pays arabes montre que 39% des 216 banques ont connu  une perte considérable de relations de correspondants bancaires.

MOTIVATIONS

La loi  exige des banques qu’elles s’efforcent  d’empêcher que des paiements transfrontaliers apparemment inoffensifs se servent  d’écran  au  blanchiment  d’argent, au  financement  du  terrorisme,  à  l’évasion  fiscale ou  à la corruption. Dans la plupart des pays et  en  particulier aux Etats – Unis, la règlementation  et  la mise en  application  de ces dispositions sont beaucoup   plus rigoureuses, tout comme la mise œuvre des sanctions économiques et  commerciales.  Les banques doivent  « connaitre leur client ». La structure de conformité requise peut se révéler tellement  coûteuse que le service à  grande échelle et  à  faible marge des correspondants bancaires cesse d’être rentable.

Vous rappelez-vous des jours après le 11  septembre, lorsque même les bébés étaient fouillés dans les aéroports ? Ou, comment, depuis l’épisode  « shoe bomber », le fait  d’ôter ses souliers est  devenu  une pratique courante dans les aéroports américains ?  C’est plus ou moins pareil  pour les paiements internationaux. Les banques sont responsables de toutes opérations internationales qui passent  par leurs réseaux ; elles doivent  « fouiller » celles qui impliquent  des pays risqués et  évidement stopper celles qui  sont « interdites de vol ».  Les risques de réputation  sont importants, et les amendes  peuvent  atteindre des milliards de dollars.  Comme l’explique à  F&D (FMI)  un  spécialiste de la lutte contre le blanchiment  d’une américaine  internationale, « les pénalités terribles ».  Toutes ces circonstances « créent un  environnement toxique dans le secteur de la finance ».

Pour les banques, ce n’est  qu’une analyse risque-bénéfices pour l’un  de leurs multiples métiers. Mais pour le petit exportateur de fleurs d’un  pays africain

sans accès à  mer, ce facteur lui  permettra de travailler ou  non.  Les transferts de fonds constituent  une autre victime évidente.  Déjà couteux pour les pauvres, ils pourraient  devenir encore plus chers si le nombre de prestataires diminue.  Et, dans ce cas, le mouvement ne va pas simplement  des banques internationales vers les petits établissements : Républic Bank, l’une des plus grandes banques des Caraïbes, a décidé de cesser son  activité de transfert de fonds et  clôturé les comptes de grands acteurs mondiaux comme Western Union ou  Money  Gram. « Ces sociétés étant  les plus prisées par la diaspora Barbadienne au  Canada et  aux Etats  Unis, cette décision  a sans doute  affecté de nombreuses  personnes », explique à  F&D (FMI), le Directeur  Général  de la Filiale Barbadienne, Ian  de Souza.

D’après la base de données de la Banque Mondiale sur les tarifs des transferts de fonds dans le monde envoyer   200 dollars en Jamaïque suppose des commissions moyennes de 7,4% depuis les Etats-Unis  et  de 10,1% depuis le Canada. Envoyer la même somme d’Afrique du  Sud en  Angola coûtera 20% du  montant. La Banque Mondiale estime que si  le coût  des transferts de fonds reculait de 5 points de pourcentage en  général, leurs destinations des pays chaque année.

Selon  une étude récente du  FMI, les paiements transfrontières sont restés stables jusqu’à  présent, et  l’activité économique n’a guère souffert. Cependant, dans un  nombre limité de pays, la fragilité financières a été accentuée par ce que leurs flux transfrontaliers sont concentrés sur un  nombre restreint  de relations de correspondant s bancaires ou  sont  maintenus à l’aide d’autres arrangements.  Cette fragilité pourrait  compromettre la croissance à long  terme des pays touchés de même que leurs perspectives en  matière d’inclusion  financière en  accroissant le coût  des services financiers et  en  pesant  sur les notations des banques.

Belize Bank, la plus grande banque du  pays, avait  eu  Bank  of America comme unique correspondant  pendant 35 ans.  En  2014, celle-ci a mis fin  à  cette relation avec un préavis de 60 jours. « Ils ne nous on jamais donné de raison  précise, disant  juste que travailler avec nous ne s’inscrivait  plus dans leur stratégie » explique F&D (FMI) Filippo Alario, Directeur Général  Adjoint  et  Directeur du  Risque de l’Etablissement.

La République de Guinée qui a rompu toutes relations avec l’ancienne puissance coloniale ( La France) dès son accession à l’indépendance en  octobre 1958  et elle a créé en mars 1960 dans la foule sa monnaie nationale à la place du FCFA  et en même temps sa banque centrale  et son institut d’émission.  Dès lors, le CREDIT SUISSE  fut le correspondant de la Banque Centrale de la République de Guinée(BCRG). Patatras, en fin 2013, après 53 ans de loyaux services, le Crédit Suisse se désengagea poliment de son  rôle de correspond de la BCRG sans motifs pertinents.

Un autre correspondant fut trouvé aussitôt ayant d’ailleurs pignon sur rue.

Pour Alario, la plupart des banques internationales « ne sont plus intéressées par le Belize », et,   pour continuer à fonctionner, sa banque a dû « faire preuve de créativité et  mobiliser très activement  son  réseau ». Aujourd’hui, elle travaille avec de petites banques dans d’autres pays, parfois plus petits que le Belize, et  compte plusieurs prestataires pour différents services. « Nous nous débrouillons, mais sans solution  solide de long terme ». Selon  Alario, le problème a touché l’économie tout entière-même les camps d’entrainement  américains et  britanniques ont des difficultés à  recevoir des fonds.

Pour Bank of America, c’est  avant   tout une affaire de taille, comme l’explique F & (FMI), Stephanie Wolf, sa responsable des institutions bancaires internationales et  du  secteur bancaire. Sans citer d’exemple précis, elle indique que l’approche de la surveillance globale du  risque de sa banque pour les différents produits et  territoires l’a incitée à privilégier les clients au  plus fort  potentiel  de croissance. « Tous les clients ne nous conviennent  pas nécessairement ». La pratique des correspondants bancaires reste une des activités phares de l’offre de service aux professionnels, « très intéressante en  termes de revenus comme de diversité du  portefeuille ».  Celui-ci compte dorénavant de nouveaux clients et, comme le précise Wolf, la banque apporte même des financements en  monnaies fortes dans de nombreux pays, un des aspects les plus risqués de cette activité.

La combinaison de règlementations financières souvent peu  claires ou  contradictoires, d’efforts accrus pour lutter contre le blanchiment  d’argent  et  le financement   du  terrorisme, de respect insuffisant  des règles de la part  des banque correspondantes et  de pays ayant  un  environnement risqué un problème complexe. Les banques comptent de nombreux critères d’évaluation  des risques des transactions financières, et  la réputation  joue un  très grand rôle. Ainsi, un client colombien  sera considéré par  principe comme plus risqué qu’un  client  chilien  à  cause des cartels de drogue qui  ont marqué l’histoire colombienne, explique un  expert de la lutte anti  blanchiment  installé aux Etats-Unis.

Certaines activités comme les casinos, sont  également  plus risquées que d’autres. « Une activité qui  recourt  fortement  au numéraire sera jugée plus risquée qu’une  autre qui  utiliserait  davantage les paiements électroniques. Les contrats   avec le secteur privé. Un  politique  est  plus risqué qu’un  avocat, lequel  est  plus risqué qu’un  dirigeant  d’entreprise », poursuit  notre expert. Les personnes « politiquement exposées » déclenchent un  signal  d’alerte : les Ministre, députés et  dirigeants d’entreprises publiques font l’objet  de contrôles plus fréquents  et  plus poussés.

La plupart  des pays se targuent  d’une législation totalement conforme aux recommandations du  Groupe  d’action  financière, l’organe intergouvernemental qui  fixe et  fait  appliquer les normes et  pratiques de lutte contre le blanchiment   et  le financement  du  terrorisme. Mais un certain  nombre de pays ne respecte que partiellement  la législation. Le problème réside souvent  dans une application  insuffisante et  dans des textes de loi trop laxiste, parfois en  raison  du  contexte  politique.  Si  trop  de politiques et  leurs familles ont des intérêts commerciaux, ils n’ont rien  à  gagner à  voter des lois locales visant les personnes politiquement  exposées. Il est  donc  plus difficile pour une banque étrangère de bien  vérifier une opération, ce qui  pourrait  l’exposer à une action  de la part  de l’autorité de réglementation.  Pour certains, la pression  internationale constitue le seul  moyen  de contraindre au  changement  dans de telles situations.

Trouver d’autres  itinéraires.

Que doit  faire une banque exclue ? Telle qu’un  voyageur obstiné, elle va chercher d’autres vols et  d’autres itinéraires.  Dans les pays les plus touchés, les banques ont imaginé des moyens de continuer de fonctionner le plus souvent  en  logeant  leurs opérations au  sein  d’un  établissement qui  entretient toujours des relations de

banques correspondantes. L’Angola fait  passer davantage de transaction  par l’Afrique du  Sud et  le Portugal, et  les banques du  Belize recourent même à  des prestataires turcs. La diversification  des devises, si  l’une d’elles vient  à  manquer, est une autre solution.

Cependant, les experts avertissent  que cela ne durera pas longtemps. Un  établissement international  interrogera sans doute une banque portugaise sur les opérations angolaises qui  apparaissent  dans ses transactions nationales, et  il  n’est  pas impossible  que cette banque portugaise finisse par perdre ses propres comptes de correspondant bancaire dans cette affaire.

Surtout, la recherche de solutions de court  terme pourrait  inciter les entreprises et  les prestataires peu  recommandables pour continuer le fonctionner.   Cela pourrait  avoir comme conséquence inattendue d’orienter les paiements vers des moyens informels.

Pour résoudre durablement le problème de l’atténuation du  risque, il  convient d’agir sur de nombreux  front, à l’aide de différents décideurs nationaux et  d’organisations internationales, mais aussi  du  secteur privé. Globalement, il  est  essentiel  de renforcer les capacités des gestions des risques. On constate  déjà  quelques progrès. Faire prendre conscience de la complexité  et  du  sérieux du  problème était  une première  fois la question  devant  les autorités américaines et  les institutions  internationales, il  a été « blâmé de toutes part ».

Des opérations  de pression  et  des actions conjointes de certains pays, couplées à davantage d’études sur le sujet  par les organisations internationales, ont permis des améliorations notable. Il  est  crucial  de clarifier les attentes des différents  organes  de règlementation. Les directives publiées en août dernier  par le Trésor américain en  vue d’harmoniser les nombreuses instances de règlementations  publiques des Etats-Unis constituent, de l’avis général une étape importante. Elles établissent  clairement   qu’on  ne s’attend pas à une tolérance zéro et  que de nombreuses amendes ont été infligées dans des cas d’abus délibérés.

Parmi les mesures proposées  pour résoudre ce problème figure une baisse des coûts de conformité dans tout le secteur (la technologie peut aider les banques à mieux connaitre leurs clients et  offre d’autres  modes de transfert  de fond). Il  est  crucial  d’améliorer constamment  les normes de lutte contre le blanchiment  et  le financement du  terrorisme pour offrir le niveau  de confiance requis par les banques correspondantes.

Les banques sont intervenues aussi, Standard Chartered, établissement britannique très présent  en  Asie, a lancé un  programme de formation  des banques correspondantes en  vue d’aider les clients, les banques    locales  et  les clients des clients à  respecter les règles de lutte contre le blanchiment et  le financement du  terrorisme. Ce programme fonctionne dans 23 pays.

Le Mexique, pays émergent  majeur, affecté lui  aussi par la perte des relations de banques correspondantes, a réagi sur plusieurs fronts. Dans la plupart des pays, les lois de protection  de la vie privée interdisent aux filiales de la même banque internationale d’échanger des informations sur le profil de risque des clients. Le Mexique a donc adapté  sa législation pour faciliter  cet  échange d’informations transfrontalier. Il a également mis en place un système  de paiement local  en  dollars américains  et  se sert du  réseau  de banques correspondantes  de sa banque centrale pour faciliter les virements.

Dans le transport aérien, une sécurité renforcée suppose souvent  de petits sacrifices individuels en  échange d’une plus grande sécurité pour nous. On peut faire valoir de même que, en  sévissant contre le crime financier, le durcissement de la règlementation mondiale œuvre aussi  pour le bien  public. Malheureusement, de gens et  des entreprises honnêtes en  pâtissent  aussi. Des fonds irréprochables se sont retrouvés cloués au  sol, comme tel  fut le cas récemment de gens honorables, et cela ne devrait pas arriver.

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M. Sanoussy DABO

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